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  • Photo du rédacteurLucie Collot

Que dis-je ? Des vitraux d'Eugène Grasset à Nancy !


Un instant.


Il y a un instant que je souhaitais vous partager. Le jour où mon regard a été captivé par des surfaces scintillantes d’un charme envoûtant et d’une élégance discrète. Mes yeux ont parcouru pendant de longues minutes ces vitraux colorés d’une esthétique assurément Art nouveau. Ils me charmèrent en un instant par leurs couleurs percutantes transpirantes de lumière, par cette abondance de motifs stylisés liés avec une multitude de traits noirs révélant un assemblage de morceaux de verre. J’ai tout de suite eu la sensation que ce style si particulier était sans nul doute celui d’Eugène Grasset.


Avril 2019 - Copyright Lucie Collot 

Un contexte.


Le 17 avril 2019, j’ai suivi une visite guidée réalisée par Isaline Hallouche dans le cadre de son service civique en médiation à l’Hôtel du Département. Cette visite avait pour objet l’histoire et la vie de ce complexe architectural du tout début du XXe siècle dans lequel sont implantés les bureaux du Conseil départemental depuis la réhabilitation des bâtiments en 1995.


Dans le quartier de Nancy-Thermal, la façade principale visible sur l’esplanade Jacques Baudot à Nancy témoigne de l’architecture de l’ancien Centre Hospitalier des Armées construit sur l’emplacement de la briqueterie Saint-Jean et mis en service dès juin 1909.


Histoire de l'hôpital militaire de Nancy par le Dr. E. Georges, 1938, p.100.

Plus communément appelé par les nancéiens « hôpital Sédillot », cette nouvelle appellation lui est attribuée le 19 octobre 1913 [Note 1] pour rendre hommage à Charles-Emmanuel Sédillot, un illustre médecin militaire qui inventa le mot « microbe » en 1878. Pour n’en dire que quelques mots, Sédillot travailla sur l’antisepsie, devint le précurseur de l’asepsie opératoire et le promoteur de l’anesthésie au chloroforme :

« (…) dans le domaine de l’anesthésie qui n’en était qu’à ses débuts (éther en 1842, chloroforme en 1847), il montra la supériorité du chloroforme sur l’éther, mais aussi sa toxicité plus grande et il codifia la technique de l’anesthésie chloroformique. [note 2] »

Un lieu.


Photos de la chapelle de l'hôpital militaire de Nancy, Avril 2019, Copyright Lucie Collot.

La visite se termina dans l’ancienne chapelle du Centre Hospitalier des Armées Sédillot fermée au grand public.

L’hôpital militaire était articulé en son centre par une longue galerie axiale de 215 mètres de longueur qui desservait de chaque côté les différents pavillons de l’hôpital. Elle débutait par l’entrée principale côté rue du Sergent Blandan et se clôturait par la chapelle où s’y déroulaient les cérémonies religieuses célébrant les soldats décédés de leurs blessures.

C’est donc dans l'abside de cette chapelle que se trouve les trois vitraux qui m’ont tant émerveillée en cette journée printanière.


Un détail d'une vue d’ensemble de l’Hôpital Sédillot prise par avion (la chapelle est identifiée par un cercle jaune), Dr. E. Georges, Histoire de l’hôpital militaire de Nancy, 1938, p.103.

Une signature.

Je connaissais avec bonheur les réalisations d’Eugène Grasset [Note 3] pour les avoir découvert dans des ouvrages spécialisés ou dans les musées comme lors de ma visite en août 2018 au Musée des Beaux-Arts de Lyon où j’ai été fascinée par un vitrail réalisé par Lucien Bégule et Eugène Grasset. (voir photo ci-après)

Un détail du vitrail Saint-Georges terrassant le dragon, Lucien Bégule en collaboration avec Eugène Grasset, 1899, Musée des Beaux-arts de Lyon. Photo : copyright Lucie Collot.

Cette sensation de reconnaître le style de Grasset me poussa bien évidemment à chercher une signature, je découvris dans ces méandres de verres colorés deux mentions : « Gaudin – Paris » et un monogramme (voir photos ci-après) que j’avais déjà vu à maintes reprises sur des illustrations d’Eugène Grasset, comme en bas à gauche de la célèbre affiche créée pour le Salon des Cent ou encore dans l’angle inférieur droit de celle éditée pour l’exposition d’art décoratif de la Grafton Gallery de Londres. Ces signatures attestent bien de la collaboration connue entre Eugène Grasset, grand créateur et professeur de dessin d’art industriel, avec l’artisan parisien Félix Gaudin [Note 4] qui ont ensemble œuvrés à la réalisation de nombreux vitraux, le premier créant les cartons et le second exécutant la réalisation des vitraux.



Détails photos - Copyright Lucie Collot



Des motifs.


Photos - Copyright Lucie Collot

Les compositions de ces verrières intègrent des motifs très graphiques qui me rappellent la griffe d’Eugène Grasset. D’ailleurs, l’un des motifs de nature (voir photo ci-après) ornant la partie inférieure de deux verrières (celle à droite et celle à gauche) m’a évoqué les planches d’ornement réalisées sous la direction d’Eugène Grasset par ses élèves de l’Ecole Guérin à Paris. Eugène Grasset :

« les faisait partir du dessin des plantes telles que pouvaient les représenter des botanistes. Pour chaque plante étudiée, une planche entière est consacrée à son dessin précis issu d’une observation attentive. [Note 5] »
Détail du vitrail de gauche, Copyright Lucie Collot.

Ce motif représente des pieds de vigne en feuilles avec leurs grappes de raisin violet, les formes des feuilles et des grappes ont des ressemblances avec la vigne sur fond jaune illustrée sur la planche ornementale de Verneuil (voir photo ci-après). Il est a supposer que certaines planches ornementales conçues par ses élèves aient pu inspirer certaines représentations de Grasset.


Planche ornementale motif vigne, Verneuil, Motifs d'ornement plantes et arbres, sous la direction d'Eugène Grasset, l'Editions L'Inédite, Paris, p.9.

La rondeur des morceaux de verre employés, pour composer les ciels nuageux et la densité des feuilles des arbres et arbustes, est aussi un élément caractéristique du style décoratif d’Eugène Grasset qui s’attache à simplifier les formes de tous les éléments du paysage. Chaque fragment de verre, avec sa surface en aplat teintée et décorée, est cerné par des lignes de plomb noires assez épaisses. Cette façon simplifiée d’illustrer, ici des scènes religieuses, avec un dessin aux lignes arrondies apporte une grande douceur à ces vitraux.


Enfin, chacune des trois verrières intègre un cadre périphérique composé de morceaux de verre ornés par des coquilles stylisées (voir détail ci-après). Le vitrail le plus connu de la collaboration entre Félix Gaudin et Eugène Grasset, Le Printemps daté de 1894, possède lui aussi un contour décoré par deux motifs stylisés (voir détail ci-après).


Image de gauche : détail du vitrail de gauche, copyright Lucie Collot.
Image de droite : détail du vitrail Le printemps, carton Eugène Grasset, exécution Félix Gaudin, 1894, Musée d'Arts décoratifs de Paris. 

Une investigation.


Ces vitraux semblent avoir été transférés dans cette chapelle et n’ont donc vraisemblablement pas été créés spécifiquement pour cette chapelle de l'hôpital militaire Sédillot à Nancy. Je pense qu’ils proviennent d’un autre lieu car l’enveloppe périphérique composée de morceaux de verre colorés entourant ces trois vitraux de Gaudin et Grasset est d’un style résolument différent sans grande technicité verrière. Cela laisse à penser qu’ils ont été ajoutés dans la partie centrale des fenêtres remplaçant les vitraux d’origines.


Cette découverte enclenche donc un travail de recherche pour répondre à de nombreuses questions : à quel moment ont-ils été intégrés à la décoration de cette chapelle militaire et pour quelles raisons ? Quel était le lieu pour lesquels ils étaient destinés ? Appartiennent-ils à une composition plus globale ? Si oui, où sont les autres verrières ? Qui était le commanditaire ?


Cette investigation me semble passionnante ! Si en tant que lecteur vous pensez détenir des informations qui pourraient m’aider à avancer sur cette recherche, je vous invite à me contacter. N’étant pas spécialiste des représentations bibliques, une recherche collective est en cours pour identifier les scènes religieuses illustrées sur ces trois verrières.

Trois vitraux situés dans l'abside de la chapelle militaire de l'hôpital Sédillot de Nancy, copyright Lucie Collot.

Hypothèses pour l'identification des scènes représentées :

Vitrail de gauche : un moine franciscain..

Vitrail central : un moine franciscain..

Vitrail de droite : Saint Dominique recevant le rosaire.




Note 1 : Pierre Labrude, L'Hôpital militaire Sédillot de Nancy et le médecin inspecteur Charles-Emmanuel Sédillot, Revue d'Histoire de la Pharmacie, 1993, p.198.

Note 2 : Pierre Labrude, L'Hôpital militaire Sédillot de Nancy et le médecin inspecteur Charles-Emmanuel Sédillot, Revue d'Histoire de la Pharmacie, 1993, p.200.

Note 3 : Eugène Grasset (1845-1917) est l’un des grands représentants de l’Art nouveau, connu pour avoir réalisé de nombreuses affiches publicitaires et dessiné des motifs de : papier peint, vitraux, textile, mosaïque et des bijoux.

Note 4 : Félix Gaudin (1851-1930), maître verrier à Paris.

Note 5 : Motifs d’ornement plantes et arbres sous la direction d’Eugène Grasset, Editions L’Inédite, Paris, 2010, p.3.

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